12 / 11 / 2020

Où est le sens ?

Quand j'étais petite, on me disait que j'étais née dans un chou-fleur et que le Père Noël me ferait des cadeaux à Noël si j'étais bien sage. J'y croyais dur comme fer ! Jusqu'à ce qu'un jour, une copine de classe du CP me dise : « regarde ! Le Père Noël qui est là, dans la rue, il a un pantalon normal ! C'est un faux ! Le Père Noël n'existe pas ! »

Mon monde s'est écroulé… Toutes mes actions pour être reconnue par « Père Noël » devenaient vaines et inutiles. Mon père étant parti de la maison lorsque j'avais un an, j'avais tout misé sur ce Père Noël compréhensif, tolérant, généreux et sécurisant…

Si je vous parle de cet événement, c'est pour faire le lien avec ce livre remarquable « où est le sens » ? De Sébastien Bohler.

En effet, face à l'effondrement de notre société, de la nature et de notre climat, au lieu de nous sentir impuissants et résignés, nous possédons à l'intérieur de notre cerveau un centre nerveux appelé cortex cingulaire qui nous pousse sans relâche à chercher du sens à notre existence.

Cette quête de sens peut nous acheminer vers notre perte ou alors nous détourner de la croissance aveugle vers laquelle nos politiques nous mènent sans vergogne.

La question du sens

Cette question, nous l'avons évacuée depuis plusieurs siècles. Si on s'arrête quelques instants pour se demander quel sens réel nous souhaitons donner à notre vie, la plupart d'entre nous, sans doute, fait face à un vide. Ce vide, pendant le confinement, a été largement comblé par les séries Netflix, les blagues qui ont foisonné sur les réseaux sociaux et bien sûr par les médias qui tournaient en boucle des images de réanimations douloureuses ou d'alignement de cercueils.

Comme le vide de sens nous est insupportable, nous nous arrangeons pour combler par n'importe quel moyen, les moments de flottements ou d'inaction. Nous dégainons nos Smartphones dans les files d'attente, dans les rames de métro, même en marchant grâce aux écouteurs. Combler le vide, absolument ! Se distraire par tous les moyens et consommer pour ne pas affronter cette question fondamentale.

L'humanité s'est dotée de moyens technologiques qui lui ont permis de subvenir à ses besoins matériels en évitant la question du sens.

Pourquoi sommes-nous sur terre ? D'où venons-nous ? Où allons-nous ? Comment pouvons-nous vivre ensemble reliés les uns aux autres ? Que pouvons-nous transmettre à nos enfants ? Quelle est la cohérence de nos vies et quelle valeur sommes-nous prêts à défendre ?

Le confort dans tous les domaines, nourri grâce à une agriculture industrielle chimique et soigné par la toute-puissance Science, nous avons cru pouvoir vivre sans nous poser ces questions. En réalité, nous avons presque tout perdu et aujourd'hui, certains se sont réveillés, mais le monde a de la peine à ouvrir les yeux.

Le cortex cingulaire, une machine à prédire dans notre cerveau

Le cortex cingulaire se trouve à quelques centimètres au-dessus du striatum ( le centre de récompense expliqué précédemment dans le bug humain) .

Ce cortex cingulaire antérieur s'allume dès qu'il se produit un message d'erreur ou que des prédictions se révèlent fausses. Imaginez que vous rentrez de vos courses et après avoir tout rangé, vous cherchez votre téléphone portable et vous ne le trouvez pas. La panique vous envahit. "L'aurais-je oublié chez le marchand de légumes, ou bien au supermarché quand je l'ai posé pour payer ? Est-ce qu'on me l'a volé ?" Vous êtes en panique, vous cherchez partout et, ouf, vous le retrouvez sous un torchon. Votre cortex cingulaire a tiré le signal d'alarme et a déclenché une puissante réaction de stress. Il a activé un circuit nerveux à plusieurs maillons qui descend jusqu'à un centre cérébral impliqué dans la peur et l'angoisse (l'amygdale) puis aux glandes cortico surrénales situées sur les reins, et à des noyaux neuronaux du tronc cérébral qui libèrent des hormones comme le cortisol ou la noradrénaline, hormones vous permettant de fuir ou au contraire de vous paralyser en provoquant une angoisse qui peut devenir existentielle.

Les conséquences de cette alarme sont aujourd'hui répertoriées : troubles du sommeil, dépression, anxiété, maladies cardio-vasculaires, diabète etc.

Notre société est de plus en plus paradoxale car nous sommes stressés en permanence, tout en étant entourés de confort. Pourtant le cortex cingulaire redoute par-dessus tout l'inconnu et il s'efforce d'y remédier en mettant de l'ordre d'une façon ou d'une autre dans son environnement, de façon à créer un cadre fixe, stable, répétitif et par conséquent mieux prédictible.

Constat de notre société déboussolée

C'est la première fois dans l'humanité que nous sommes confrontés à la menace de la destruction de notre planète. Il y a encore 100 ans, tous ceux qui craignaient la mort à leur échelle individuelle, savaient que le monde continuerait à exister après eux. On travaillait dur pour transmettre un patrimoine à nos enfants, une éducation, des valeurs… Aujourd'hui, l'homme est devenu jetable, remplaçable, la société lui fait sentir qu'il peut perdre son emploi à tout moment pour délocalisation ou tout simplement faillite, il peut être délocalisé, recyclé, rayé du monde du travail, privé de son droit d'accès aux soins, de recours en cas d'agression de par l'indifférence de la société ou des forces de police.

L'idée d'un effondrement, les fameux collapsologues en parlent depuis longtemps, n'est plus un fantasme mais bien réel, et change notre positionnement en tant qu'êtres humains.

Nous vivons une rupture existentielle.

Aujourd'hui plus que jamais, les jeunes ont l'impression que le monde de l'emploi ne veut pas d'eux et que la terre n'existera peut-être plus dans 20 ans. Même l'action de cette jeune suédoise nous alertant sur les problèmes climatiques, n'y fait rien. Ils se sentent impuissants.

Nous sommes devant un monde absurde où on peut voir défiler des images de pays en ruine, de populations affamées migrant sur des routes interminables, tout en mangeant une bonne pizza sortie d'un four à micro-ondes ou en lisant ce texto fraîchement arrivé.

Notre société est saturée d'informations incohérentes, pléthoriques, ambigües et contradictoires par l'effet conjugué des réseaux sociaux et du marché superficiel de l'opinion sur Internet. Les théories du complot explosent et des interprétations du monde totalement déconnectées du réel, foisonnent sur tous les médias.

L'exemple de la Covid 19

N'êtiez-vous pas déboussolés ? Si vous écoutiez les grands médias, vous observiez qu'aucun scientifique, professeur, épidémiologiste, virologue, sociologue, médecin ou autre n'était d'accord sur les plateaux de télévision. Ils se crêpaient le chignon en permanence. Les uns s'appuyant sur des statistiques véreuses, les autres sur des publications scientifiques, n'écoutant en aucune façon, les vrais scientifiques en action sur le terrain. La politique s'en est mêlée et a gouverné nos vies, jusqu'à notre respiration. 

Comme l'être humain cherche, pour son confort et sa survie, de la logique, du contrôle, un sentiment d'appartenance et du sens dans sa vie, il est donc capable de se jeter dans les bras de la première idéologie venue, quitte à se faire exploser pour elle dans un lieu public...

Vous aviez le droit de vous entasser dans le métro, les bus, les supermarchés mais votre petit commerçant de village ne pouvait pas vous servir car il était fermé. Vous pouviez aller travailler sur place si vous ne pouviez pas faire de télétravail, mais vous ne pouviez pas aller déjeuner dans votre restaurant habituel car il était fermé. Métro – boulot – dodo. Vous ne pouviez plus faire de vélo au-delà d'un kilomètre (cela m'a beaucoup affecté, car c'est mon sport favori), vous étiez condamnés à faire le tour de votre pâté de maisons, comme un prisonnier, pour vous aérer. Quand on sait que la sédentarité génère et entretient l'obésité, facteur numéro un de la maladie Covid 19, on se demande pourquoi ces désisions avaient été prises.

Finie la convivialité, finie la fraternité, finie la liberté, finie l'égalité…

Tout le monde a compris aujourd'hui que les statistiques étaient faussées ...

L'homme face au néant

Nous sommes les seuls animaux sur la planète à savoir que l'on va mourir et que tous nos faits et gestes seront démantelés, in fine, à notre propre mort.

Que faire ?

Le cerveau use de tous les moyens possibles pour ne plus y penser. Tout d'abord, se distraire.

Du pain et des jeux nous disaient les Romains. Aujourd'hui, nos Smartphones remplissent parfaitement ce besoin de distraction incessant. Ce qui est paradoxal, c'est que ces distractions permanentes font tourner, sans discontinuer, une industrie forte consommatrice d'énergie fossile, aggravant la pollution et nous poussant inévitablement vers un réchauffement climatique pouvant détruire notre propre espèce. Au lieu de retarder l'échéance nous ne faisons que la hâter. Certains peuvent le nier et sont dans l'attitude : « après moi, le déluge! »

La déforestation de la forêt amazonienne pour cultiver du soja bien plus rentable, en est un exemple pathétique.

Le choix de continuer d'utiliser des pesticides tueurs d'abeilles en France pour préserver le rendement de la culture des betteraves et un autre exemple. Et tout est comme ça.

Une solution moderne efficace : l'estime de soi

Chacun ses critères pour avoir une estime de soi. Chez les uns ce sera une bonne forme physique, faire du sport et bien s'alimenter, chez d'autres ce sera une réussite professionnelle, chez d'autres encore, une culture générale très riche, chez d'autres encore la collection d'objets d'art ou autres, tous ces comportements permettent d'éloigner cette pensée de la mort.

L'estime de soi nous dit Sébastien Bohler, est un brise-lames contre la menace liée à l'incertitude et à l'imprévisibilité du monde extérieur. Ainsi, face à la possibilité de l'anéantissement, tout ce qui vous donne l'impression d'être intégré à un tissu social se transforme en protection neuronale contre l'angoisse de mort.

D'autres solutions : la célébrité, l'argent, le pouvoir

En effet, l'argent nous permet d'accéder à tout ce qui peut représenter l'estime de soi : succès personnel, professionnel, amoureux, pouvoir, image attrayante, capacité à établir des relations, à favoriser son entourage proche, à porter des projets etc. ce culte de l'argent permet d'exorciser la mort en s'engouffrant dans tous les vides laissés par l'absence de sens. Mais le but ultime est de ne pas perdre le contrôle. Nous voulons contrôler ce qui nous entoure pour éviter la mort. Les neurosciences ont découvert que la peur de la mort était le moteur de l'avarice. Selon eux, accumuler de l'argent, procure autant d'apaisement contre l'angoisse de mort, que le fait de le dépenser pour acquérir du prestige de l'estime de soi.

Souvenez-vous de cette pièce de Molière, l'avare « mon pauvre argent, mon cher ami, on m'a privé de toi. Et puisque tu m'es enlevé, j'ai perdu mon support, ma consolation, ma joie : tout est fini pour moi et je n'ai plus que faire au monde. Sans toi il m'est impossible de vivre. S'en est fait ; je n'en puis plus ; je me meurs ; je suis mort ; je suis enterré. »

Pourtant, quand toutes les places boursières se seront effondrées, que nous aurons épuisé les réserves d'énergies fossiles qui surchauffent notre atmosphère, que les derniers grands singes de la forêt primaire auront été rayés de la carte par les bulldozers, le spectre de la mort resserrera son emprise sur nous.

Les milliardaires croiront encore tout contrôler en ramassant toujours plus d'argent, voulant atteindre l'immortalité technologique par le transhumanisme, mais c'est peine perdue.

Une solution : l'instinct de groupe

Cela fait des centaines de milliers d'années que nos ancêtres se sont regroupés pour survivre en milieu hostile. L'appartenance à un groupe est indispensable pour contenir la détresse que nous éprouvons face au néant.

Des expériences ont été menées et ont démontré que les personnes qui se considèrent comme faisant partie d'un tout, d'une communauté d'autres individus partageant un même ensemble de valeurs, voyaient leur cortex cingulaire s'éteindre. Se sentir faire partie d'un groupe restaure un sentiment de maîtrise face à ce qui est perçu comme incontrôlable.

La fin d'un monde 

Aujourd'hui, l'humanité vit un cauchemar éveillé. Après plusieurs dizaines de milliers d'années de civilisation, Homo sapiens se rend compte que tout ce qui a fait la toile de fond de son imaginaire, de ses modes d'existence, de ses traditions, de son rapport au monde et de sa propre descendance, pourrait prendre fin bientôt, beaucoup plus rapidement qu'il ne se l'était figuré.

L'unique chance d'éviter que cela se produise, nous dit Sébastien Bohler, est de renoncer dès maintenant, à notre mode de vie et de consacrer tous nos efforts au service de solutions d'adaptation à ces changements et, potentiellement, de techniques pour réduire la concentration de dioxyde de carbone dans l'atmosphère.

Pour cela, il faudra s'attaquer aux racines du mal que notre société a créé : la compétition, l'accélération, l'incertitude et la consommation. Ces 4 piliers de l'enfer sur terre s'entretiennent mutuellement : la compétition entraîne l'accélération des moyens de production, qui génèrent de l'incertitude pour les individus, lesquels consomment davantage pour apaiser l'angoisse que génère un tel monde. Tout est fait pour activer notre cortex cingulaire.

La mort du matérialisme

"Être riche ou être sage, il faut choisir" était un principe philosophique que l'on doit remettre au goût du jour. Notre cerveau cherche à prédire le monde afin de mieux le contrôler et il y parvient par le sens ou par la technique. Quand la technique progresse, il n'a plus besoin du sens et quand la technique fait défaut, il lui faut du sens.

Pour survivre, nous allons devoir renoncer à la plupart des commodités dont nous jouissons aujourd'hui et ce ne sera possible qu'à condition de trouver la voie du sens et que tout le monde s'y mette. Nous allons devoir faire de lourds sacrifices. Nous allons devoir vivre avec moins. Cette règle risque de nous être imposée, car si nous voulons limiter la croissance industrielle et la densité des transports pour réduire nos émissions de gaz à effet de serre, pour éviter la propagation des épidémies dont la Covid 19 n'a été que le précurseur, c'est la meilleure chose que l'humanité puisse faire aujourd'hui.

Si le monde entier adhère à cette donnée, cela peut générer un sentiment d'appartenance de chacun, donnant au sens du sacrifice, une place prépondérante au cœur d'un monde organisé autour de valeurs auxquelles tout le monde croit d'une façon collective..

L'heure du choix

Sommes-nous prêts à subir une forme de réduction de notre confort quotidien en échange d'une justice sociale réelle et attentive, d'un partage des sacrifices et d'une existence, peut-être moins confortable, mais moins incertaine, moins instable, et moins exposée au risque d'exclusion sociale et de destruction de notre climat et de notre biodiversité ?

Ou bien, si nous ne voulons pas obtempérer dans ce sacrifice solidaire, être surveillé nuit et jour par des centaines de millions de caméras de surveillance ayant pour but de passer au crible nos comportements et nous pénaliser, si nous ne respectons pas les règles promulguées par le pouvoir central! C'est ce que vivent 1 400 000 000 chinois aujourd'hui !

Est-ce le modèle que nos gouvernements veulent nous faire adopter ?

Évitons d'écouter les grands médias, source d'anxiété, regardons de belles comédies, préparons en famille nos repas, cuisinons nous-mêmes, (de préférence à la vapeur) ,des aliments que nous aurons achetés chez le maraîcher de notre région et surtout, aimons-nous les uns les autres !


Marion Kaplan

Où est le sens ? De Sébastien Bohler aux éditions Robert Laffont


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