7 / 05 / 2024
Que penser du sel ?
Mangeons-nous trop de sel ?
L’impact de l’excès de sel, et plus généralement de sodium, sur notre santé, notamment cardiovasculaire, continue de faire l’objet de débats, parfois vifs, parmi les scientifiques ou les médecins. L’OMS, notamment, et les autorités sanitaires de nombreux pays ont tranché en faveur de la nécessité de réduire l’apport quotidien de sel alimentaire. Qu’en est-il exactement ? Qu’entend-on vraiment par excès de sel ? Sommes-nous tous égaux face au sel ? C’est ce que je vous propose d’explorer ensemble aujourd’hui. L’occasion aussi de voir aussi quel sel choisir.
En guise d’introduction
On suspecte le sel de faire mauvais ménage avec le cœur depuis la fin des années 1960. La raison : le sel augmente la pression artérielle, facteur de risque d’hypertension artérielle, et par conséquent de maladie cardiovasculaire. Les études scientifiques - tant expérimentales (chez l’animal et chez l’homme) qu’épidémiologiques - ont fait foison depuis, « tendant à prouver » que le contenu en sel de l’alimentation augmente la prévalence de l’hypertension artérielle. Également, une alimentation riche en sodium (constituant du sel) est associée, selon l’OMS, au risque de cancer gastrique, d’obésité, d’ostéoporose, de maladie de Ménière et de maladie rénale.
Ces données étant posées, certaines questions méritent d’être explorées pour apporter quelques lumières au débat. Qu’entend-on vraiment par excès de sel ? Qu’en est-il des susceptibilités de chacun face au sel ? Car chaque être est unique. Avant de tenter d’y répondre, il convient de partir de la base : qu’est-ce que le sel ?
Qu’est-ce que le sel ?
Le sel de table (ou sel de cuisine ou encore sel alimentaire) est constitué essentiellement de chlorure de sodium (NaCl). La norme Codex stipule que le teneur en NaCl dans le sel alimentaire ne doit pas être inférieure à 97% de l’extrait sec, y compris les additifs1.
Le sel peut provenir de la mer, de gisements souterrains de sel de gemme ou encore de saumure naturelle.
Enfin, il peut être enrichi en iode (sous forme d’iodate de sodium ou de potassium), ou encore en iode et fluor. Je ne saurais que trop vous rappeler d’être très vigilant avec le fluor (qui figure déjà dans les dentifrices) dont les dangers sont aujourd’hui bien connus et documentés.
Indispensable au bon fonctionnement de notre organisme
Le sodium fait partie des minéraux indispensables au bon fonctionnement de notre organisme. Il joue un rôle déterminant dans le maintien de l’équilibre hydrique entre l’intérieur et l’extérieur des cellules, maintien essentiel pour les transmissions nerveuses et les contractions musculaires. Il est nécessaire à l’équilibre acido-basique. Et il exerce aussi un rôle important dans l’absorption intestinale du chlore, des acides aminés, du glucose et de l’eau et dans la réabsorption au niveau rénal. Le sodium est éliminé principalement par la voie urinaire et par la transpiration2.
Dans chlorure de sodium, il y a le mot chlore, qui permet à l’estomac de sécréter de l’acide chlorhydrique pour décomposer les aliments et stimuler les enzymes digestives. Il a également un effet bactéricide et fongicide. L’acide chlorhydrique permet de maintenir le pH de l’estomac entre 1 et 3. Pour plus de détails sur l’importance de l’acide chlorhydrique, je vous invite à lire ou relire notre article sur le sujet (Lien vers Lien entre les aigreurs d’estomac et l’intestin : le sibo).
Enfin, le sodium agit en tandem avec le potassium, un autre électrolyte du sang3 indispensable au bon fonctionnement de notre corps. Comme le rappelle la nutritionniste-diététicienne Florence Foucaut, le potassium et le sodium participent au processus de stabilisation physiologique de l’organisme. Au niveau cellulaire, le potassium aide, par exemple, à éliminer le sel. Une étude publiée en 2022 et menée sur près de 25 000 Britanniques sur deux décennies l’a mis en évidence, surtout chez les femmes4.
Ces trois électrolytes (qui sont des minéraux) : le sodium, le chlore et le potassium, doivent être maintenus dans une plage normale (ni trop, ni pas assez) pour que l’organisme puisse fonctionner.
Les principales sources alimentaires de sodium sont le sel de table, les condiments et sauces, ainsi que la charcuterie et le fromage.
Le sodium se trouve à l’état naturel dans divers aliments comme le lait, la viande et les crustacés.
Besoins physiologiques et recommandations sanitaires
Nos besoins physiologiques en sodium sont de l’ordre de 1 à 2 grammes par jour.
Il existe un consensus sur les recommandations de ne pas dépasser, chez l’adulte, 5 g de sel par jour (une cuillère à café rase), soit l’équivalent de 2,4 g de sodium. La plupart d’entre nous dépasse largement ces taux.
Selon l’OMS, l’apport moyen des adultes dans le monde est de 4310 mg de sodium, équivalent à 10,78 g de sel par jour5.
En France, comme le souligne l’Anses, si la proportion de forts consommateurs de sel (au-delà de 12 g) a diminué (de 20 à 30%), la consommation moyenne de sel reste, chez les adultes, de 8,7 g/j chez les hommes et de 6,7 g/j chez les femmes, hors prise en compte les ajouts de sel de table et de sel de cuisson, soit de l’ordre de 10 g/j chez les hommes et de 8 g/j chez les femmes. L’Agence précise que la diminution observée va de concert avec la diminution de la teneur en sel de certains aliments.
Car, oui vous l’aurez compris, pour atteindre de telles quantités de sel ingéré, il faut consacrer la très grande majorité de ses repas quotidiens à la malbouffe et autre « nourriture » industrielle truffées de sel : plats préparés, sauces et soupes industrielles, pizzas, et autres chips bien grasses, sucrées, et salées. Avec très peu de place donnée aux petits plats faits maison et aux produits frais non transformés : viande du boucher, poisson du poissonnier, lait de la ferme, œufs de poules élevées en plein air, légumes du maraîcher, fruits du primeur, pain fait maison sans ajout de sel.
La plupart des estimations s’accordent pour affirmer que 80% du sel ingéré provient de l’alimentation industrielle.
Il est concevable dans ces conditions que notre cœur en prenne un coup. Pour de l’excès, c’en est ! Ce, tous les jours.
Un contexte délétère pour nos reins aussi, qui finissent par fatiguer. Une étude parue au début de l’année dans le JAMA Network open révèle que saler trop souvent et en excès peut être lié à un risque accru de développer une insuffisance rénale chronique6. Cela avait été mis en évidence dans d’autres recherches auparavant chez des personnes souffrant d’hypertension artérielle, de diabète ou d’autres maladies chroniques, mais jamais dans la population générale.
Notre environnement a changé, pas (ou peu) nos gènes
L’ennui c’est que notre corps n’est pas habitué à cette avalanche de sel.
Cette folle consommation qui nous habite est inadaptée à notre patrimoine génétique, comme le souligne l’Académie de médecine, qui nous rappelle qu’au début de l’humanité, beaucoup de populations manquaient de sel et de calories. Nos lointains ancêtres qui ont survécu sont donc ceux dont les gènes étaient les plus appropriés pour retenir le chlorure de sodium et constituer des réserves. Si notre environnement a par la suite beaucoup changé, notre patrimoine génétique s’est peu modifié, lui, au cours de ces 10 000 dernières années. Ainsi, continue-telle, la situation actuelle dans beaucoup de pays est celle d’une population dont les gènes sont inadaptés à l’environnement7.
L’hypothèse, nous apprend l’Académie de médecine, est que le système rénine-angiotensine-aldostérone est, dans l’ensemble, trop actif dans une situation où le bilan du sodium s’équilibre à un niveau élevé.
Pour rappel, la quantité de sodium présente dans le liquide extra cellulaire dépend d’une part des apports alimentaires, et d’autre part des sorties de sodium rénales et extrarénales. Ces dernières étant physiologiquement négligeables et non régulées, soulignent les auteurs d’une étude, l’homéostasie du sodium repose sur la capacité du rein à excréter le sodium alimentaire. La régulation de l’excrétion rénale est assurée par plusieurs systèmes de régulation, dont le système rénine-angiotensine-aldostérone qui joue un rôle majeur dans l’homéostasie du sodium et constitue le principal système de régulation8.
Nous ne sommes pas tous égaux face au sel
Pour ajouter encore à la difficulté, les variations de la susceptibilité génétique individuelle face à la surcharge de sel s’avèrent une donnée qui entre également en compte.
En ce qui concerne le lien sel et hypertension, l’hypertension dite « essentielle » (c’est-à-dire qu’aucune cause n’explique son apparition, mais elle est favorisée par des facteurs de risque) est multifactorielle et dépend pour environ un tiers de prédispositions génétiques.
La sensibilité au sel (ou réponse exagérée au sel) a un caractère familial. Les polymorphismes génétiques sous-jacents sont multiples, et tous ne sont pas connus. Pour les initiés, l’Académie de médecine nous explique qu’ils concernent des gènes intervenant dans la réabsorption rénale du sodium comme ceux des sous-unités des canaux à sodium, en particulier EnaC (epithelium sodium channel), et d’autres transporteurs, d’enzymes jouant un rôle dans la synthèse de l’aldostérone et de protéines cibles de cette hormone, de composants du système rénine-angiotensine et de protéines du cytosquelette.
Et l’Académie de conclure que la sensibilité au sel apparaît plus fréquente chez les hypertendus que chez les sujets à pression normale, et elle augmente avec l’âge.
À la lumière de tout cela et dans le doute, il convient de consommer du sel oui, parce qu’on a besoin de sodium, mais modérément. Quand nos reins fonctionnent bien et en mangeant des produits frais et non transformés, des plats faits maison, avec des aliments bio dans toute le mesure du possible, qu’il n’est pas interdit d’agrémenter d’une petite pincée de sel. Après, reste à savoir quel sel choisir…
Quel sel choisir ?
Les mers étant désormais polluées, il convient de se détourner des sels qui en proviennent. Il est donc plutôt conseillé de se tourner vers les sels de gisement comme le sel de l’Utah, qui provient des mines de Redmont, situées au nord-ouest de l’Utah (États-Unis). Ce sel est dit préhistorique, issu de la roche, vierge de toute pollution.
Le sel de l’Himalaya également est intéressant. Sel de mine, il provient de l’évaporation d’une mer intérieure il y a des centaines de millions d’années. Il est riche en oligo-éléments et sa couleur rose vient de la présence d’oxyde de fer.
Quant au sel de Guérande, sa réputation n’est plus à faire. Fabriqué de manière artisanale, il est produit dans les marais salants de la presqu’île de Guérande, obtenu par évaporation de l’eau de mer par le soleil et le vent, sans ajout de produits chimiques.
Quant à la fleur de sel, c’est le must, la cerise sur le gâteau, un produit fin dans tous les sens du terme, d’où son coût assez élevé. C’est cette mince couche de cristaux blancs qui se forme à la surface de l’eau dans les étangs salants par temps sec et ensoleillé. La partie supérieure la plus fine et la plus cristallisée du sel. Elle est recueillie manuellement et quotidiennement. La fleur de sel aurait une teneur plus élevée en minéraux, calcium et magnésium.
Seule la fleur de sel permet de ne pas précipiter et former des cristaux, alors que le sel en soi, même non raffiné, crée des cristaux. C’est la raison pour laquelle la fleur de sel est utilisée en fin de cuisson, au moment de dresser le plat, en finition : sa rapidité de dissolution lui fait bien pénétrer les aliments.
Attention aux substituts de sel
On peut être tenté de substituer le sel de la salière par des sels de chlorure de potassium (KCl), dont on entend beaucoup parler aujourd’hui à l’heure où on nous incite à réduire les apports sodés et où on préconise une augmentation des apports potassiques. Attention toutefois.
Le potassium est indispensable au bon fonctionnement de notre organisme, mais point trop n’en faut non plus, au risque de perturber notre taux sanguin de potassium (kaliémie). C’est comme le sodium. Ainsi que l’Anses le rappelle dans une alerte9, le KCl est utilisé dans de nombreux produits alimentaires comme additif ou en remplacement du NaCl sans que cela soit clairement indiqué sur ces produits. Les apports totaux en KCl sont donc difficiles à estimer. Il s’agit dès lors d’être prudent, d’une manière générale quand on est en bonne santé, mais d’autant plus, et plus particulièrement, quand on souffre d’insuffisance rénale au stade 4, quand on est diabétique, insuffisant cardiaque ou encore hypertendu, conditions médicales les plus à risque d’hyperkaliémie. Sans oublier les personnes âgées sous traitement des pathologies suscitées ou atteintes d’une diminution de la fonction rénale.
Symbiosal ( en vente uniquement sur internet)
Ce faux sel a été inventé par les coréens. Il a le goût du sel, mais même en grande quantité, il n’a aucun impact sur la santé.
L’ingénieur Guen-Sik Cho l’a mis au point après avoir fait des recherches sur le chitosan, un principe actif naturel qui provient de la ca rapace de nombreux crustacés. Par un procédé d’hydrolyse, il a assemblé du chlorure de sodium (97%) avec 3% de chitosan. Ce sel aurait le pouvoir de faire baisser la tension de 20%. D’autre paer, le chitosan a la propriété de se fixer aux graisses alimentaires, de les capturer et de les éliminer naturellement, toute proporttion gardée,avant qu’elles ne soient absorbées par l’organisme.
Petite information pratique : si vous le souhaitez, le tableau Ciqual (https://ciqual.anses.fr), élaboré par l’Anses, vous permettra de suivre au plus près la quantité de sel ingéré au cours de vos repas quotidiens. Faits maison bien sûr. Il suffit de rentrer les aliments consommés et vous verrez la valeur de sodium qu’ils contiennent pour 100 grammes.
Pour conclure, je tiens à préciser que les informations données, concernant les apports en sodium, se basent sur une alimentation dite lambda, qui ne demande aucun effort particulier à nos métabolismes dans son rapport aux apports nutritionnels.
Mais dans une alimentation spéciale, qui a pour vocation de libérer les corps cétoniques, ou dans le cas d’un prédiabète, ancré dans une forte inflexibilité métabolique, le rôle et l’apport du sel, seront dans ces cas précis, aux antipodes des consommations journalières préconisées ici.
Pour cette question-là, l’apport en sel et autres minéraux essentiels, fera l’objet d’une attention toute particulière, à travers un sujet traité en profondeur pour cette spécificité très importante.
Le sodium est très loin d’impliquer le sodium uniquement pour l’organisme. Il est aussi, l’arme secrète du sucre…
A suivre
Marion Kaplan et Myriam Marino
Notes :
1 – Le reste consiste en en produits secondaires naturels en quantités variables selon l’origine et la méthode de production du sel ; ils comprennent principalement des sulfates, carbonates et bromures de calcium, de potassium, de magnésium et de sodium, ainsi que des chlorures de calcium, potassium et magnésium, Afssa, 2007
2 – Tout savoir sur la consommation de sel (ou chlorure de sodium), Anses, 27 octobre 2022
3 - Pour rappel, les électrolytes du sang (sodium, potassium, chlore et bicarbonate) aident à réguler la fonction nerveuse et musculaire et à maintenir l’équilibre acidobasique et l’équilibre hydrique, qui doivent être maintenus dans une plage normale pour que l’organisme puisse fonctionner. Les électrolytes, et plus particulièrement le sodium, aident l’organisme à maintenir des volumes liquidiens normaux dans les compartiments liquidiens, dont les trois principaux sont : les liquides contenus dans les cellules, les liquides de l’espace entourant les cellules, et le sang. Le manuel MSD, 2023
4 - Le potassium aide à éliminer le sel dans les artères, Ouest France, 19 septembre 2022. L’étude dont il est question : Sex-specific associations between potassium intake, blood pressure, and cardiovascular outcomes : the EPIC-Norfolk study, Rosa d. Wouda et al., European Heart Journal, 7 août 2022
5 – Réduction du sodium, OMS, 14 septembre 2023
6 - Qui Tang et al. Self-reported frequency of adding salt to food and risk of incident chronic kidney disease, JAMA New Open, 2023
7 – Contenu en sel de l’alimentation et hypertension artérielle, Michel Bourel et Raymond Ardaillou, Académie de médecine, 2004, citant ces deux études :
Sur les gènes inadaptés à l’environnement : Eaton S. B. and Eaton S. B. 3rd – Paleolithic vs modern diet-selected pathophysiological implications. Eur. J. Nutr., 2000
Sur le caractère familial de la sensibilité au sel : Miller JZ et al. – Familial resemblance in the blood pressure response to sodium restriction. Am. J. Epidemiol., 1987
8 - Bilan du sodium et sa régulation, E. Vidal-Petiot et al., EMC Endocrinologie-Nutrition, 2019)
9 - Les sels de chlorure de potassium ne sont pas sans risque pour la santé, Nutrivigilance, Anses, avril 2020