28 / 05 / 2025

Ozempic : de la magie à la réalité

Dans un monde où la tendance à l’obésité et au surpoids n'a pas l'air de s’inverser, bien loin de là, les nouveaux médicaments contre le diabète qui, outre réguler la glycémie, s’accompagnent d’une perte de poids parfois spectaculaire, arrivent comme un véritable cadeau du ciel pour les malades. Remède miracle ou illusion ? S’ils montrent des bénéfices indéniables, ils ne sont pas sans présenter des risques, comme le révèle le journaliste Johann Hari dans son livre-enquête « Pilule miracle »1. Des effets secondaires potentiellement graves à connaître surtout à l’heure où leur usage, celui de l’Ozempic notamment, est détourné à des fins de perte de poids esthétique et non de santé.


On a enfin trouvé le Saint Graal

Révolutionnaire, Saint Graal, pilule magique, médicament miracle, l’Ozempic® (sémaglutide) serait tout cela à la fois. Lui comme tous les autres médicaments de cette nouvelle classe. Outre réduire la glycémie, ils font perdre du poids (de 5 à 24% du poids corporel, avec une moyenne de 10 à 20%), de la masse grasse, diminuent l’appétit et détournent des aliments gras. Ceux pour lesquels nous avons cette si irrésistible attirance…

Et ce n’est que le début de l’aventure : des essais cliniques sont en cours pour l’élaboration de la prochaine génération de médicaments.

L’engouement est tel dans le milieu scientifique2 que plus de 70 médicaments contre l’obésité sont aujourd’hui en cours de développement, laissant présager un avenir radieux pour les labos aussi. Certains analystes financiers pensent que le marché pour ces médicaments pourrait peser jusqu’à 200 millions de dollars à l’échelle mondiale d’ici 20303.

En surpoids depuis l’adolescence, « bercé » aux burgers McDo, poulet KFC et milkshake à la banane, Johann Hari a fini par se laisser tenter par l’aventure de l’Ozempic®. Et il est passé de 92 kilos à 73 kilos en un an. Loin de goûter pleinement le plaisir de retrouver une silhouette « normale », il s’est senti partagé, envahi par de « gros doutes ». Quelque chose le chiffonnait. Ses interrogations l’ont amené à rencontrer les plus grands spécialistes du sujet et découvrir que malgré des bénéfices indéniables, ces traitements présentent aussi douze risques majeurs (d’ordres physique, mais aussi sociétal et psychologique). D’où le titre de son livre en traduction littérale : « Pilule magique : Les bienfaits extraordinaires – et les risques inquiétants – des nouveaux médicaments pour la perte de poids ». Lui-même a fait les frais d’effets secondaires loin d’être plaisants, comme nous le verrons ensuite. Mais avant cela, voyons de quoi il retourne : qu’est-ce que cette « pilule magique » ?


Analogue des récepteurs du GLP-1

L’Ozempic® – comme les autres médicaments de cette nouvelle classe (Wegovy®, Mounjaro®…) – est un analogue (ou agoniste) de l’hormone GLP-1 (aGLP-1), qui fait partie des hormones de la satiété. C’est là que réside le secret de l’efficacité de ces nouvelles molécules. Elles procurent ce que nous ne sommes plus capables d’atteindre après des décennies de malbouffe : la satiété. C’est-à-dire être complètement rassasié… et arrêter (enfin) de manger.

Les analogues du GLP-1 contrôlent la glycémie en se fixant sur les récepteurs de cette hormone qui régule le taux de glucose sanguin et l’appétit. Les effets du GLP-1 sur la régulation du glucose et de l’appétit sont spécifiquement médiés via les récepteurs du GLP-1 dans le pancréas et le cerveau4.

Pour rappel, l’hormone GLP-1 (glucagon-like peptide-1) est sécrétée par notre intestin5 en réponse à un repas. Elle stimule la sécrétion d’insuline quand la glycémie est trop élevée (glycémie postprandiale, c’est-à-dire après repas) et inhibe la libération de glucagon, hormone hyperglycémiante. Cette réduction de la glycémie entraîne un ralentissement de la vidange gastrique.

En France, le sémaglutide (Ozempic®) est prescrit uniquement dans le traitement du diabète de type 2 insuffisamment contrôlé ou le contrôle du poids dans un contexte d’obésité.


Des alertes sur le mésusage

Autorisé en 2018 et commercialisé en avril 2019, il n’a pas fallu grand temps pour qu’une première alerte pour mésusage de l’Ozempic émane de notre Agence du médicament, l’ANSM. Ce détournement à des fins de perte de poids esthétique et non de santé crée d’une part une tension d’approvisionnement pour les personnes qui en ont vraiment besoin, mais expose, qui plus est, à des effets indésirables potentiellement graves, tels que des troubles gastro-intestinaux (nausées, vomissements, crampes) ou des pancréatites, notamment6. Deux raisons pour lesquelles il fait l’objet, avec ses autres copains de la même classe, d’une surveillance rapprochée de notre agence sanitaire.

Les effets de l’Ozempic® sur Johann Hari

Vous verrez à la lecture de ce qui suit que la prise de ces médicaments, l’Ozempic® en l’occurrence, n’a rien d’anodin.

Si les fringales de Johann Hari ont très vite disparu, si son appétit a chuté de 80% et qu’il était très vite rassasié chaque fois qu’il mangeait, il a commencé d’un autre côté, très vite aussi, à avoir des nausées le matin, puis surgissant subitement à n’importe quel moment de la journée, lui donnant l’impression d’être à bord d’un chalutier en pleine tempête.

Chaque fois qu’il augmentait la dose7, il se sentait au plus mal pendant au moins une semaine. Jusqu’à être pris une fois d’une crise de vomissements à l’aéroport. Des malaises surgissaient par intermittence. La première semaine après avoir augmenté la dose, en fin d’après-midi ou en début de soirée, il avait souvent des vertiges et des étourdissements. Ces derniers étant dûs, selon son médecin, à la chute brutale de la consommation de calories. Le corps ne recevant pas sa source de carburant habituelle, il est désorienté et le réservoir semble vide.

Et ce n’est pas tout. Il se réveillait parfois la nuit et se mettait à roter de manière incontrôlable. Quand il était au plus mal, de la bile remontait au fond de sa gorge et il avait le cœur au bord des lèvres, selon ses propres termes.

Il a également souffert de constipations chroniques.

Mais le pire effet secondaire qu’il rapporte a été de sentir son cœur s’emballer alors qu’il était assis tranquillement à lire un livre ou allongé dans son lit. Invariablement, chaque fois qu’il augmentait la dose, il se sentait oppressé pendant au moins une semaine.

Et Johann Hari de souligner que pour 5 à 10% des personnes prenant ces médicaments, les effets secondaires sont si graves (crampes d’estomac, vomissements, rots incontrôlables, sensation d’être creusé de l’intérieur) qu’elles estiment que cela ne vaut pas la peine de continuer.

Il a demandé au Pr Carel Le Roux, médecin sud-africain et l’un des scientifiques ayant joué un rôle crucial dans le développement de ces médicaments, le pourquoi de tels effets secondaires. Ce dernier lui a répondu que sa constipation était due au pic rapide de GLP-1 qui ralentissait la vidange gastrique. Les aliments et les déchets restent plus longtemps dans l’organisme et sont évacués difficilement.

Il rotait parce que la valve qui se trouve au fond de l’estomac ne s’ouvre pas aussi rapidement. L’air doit bien aller quelque part, alors au lieu de descendre dans l’intestin grêle, il sort sous forme de rots.

Il avait la nausée parce le médicament crée une sensation de satiété extrême : on est rassasié et on ne peut plus rien avaler. Comme quand on sort d’un repas trop copieux.

Selon ce médecin, ces effets secondaires disparaîtraient assez rapidement, ou du moins s’atténueraient jusqu’à devenir tolérables, l’organisme s’habituant.

Outre les différents désagréments énumérés, qui ne donnent pas franchement envie de tenter l’aventure - du moins pour notre part -, la prise de ces médicaments expose à d’autres effets secondaires graves, comme :


La pancréatite

Une équipe de scientifiques canadiens de l’université de la Colombie-Britannique a analysé en 2023 les données de santé de personnes prenant du sémaglutide (Ozempic® et Wegovy®) et des médicaments similaires entre 2006 et 2020, et découvert qu’en les prenant, on a neuf fois plus de risques de souffrir d’une pancréatite8. Selon le NHS du Royaume-Uni, quatre cas de pancréatite sur cinq disparaissent quand ils sont traités, et n’entraînent pas de problèmes à long terme. Mais pour les autres, comme le souligne Johann Hari, la pancréatite peut causer de graves problèmes, y compris, dans les cas extrêmes, une insuffisance organique et la mort.

Le cancer de la thyroïde

L’Agence européenne du médicament (EMA) a émis un « signal d’innocuité relatif au cancer de la thyroïde » pour tous les agonistes des récepteurs du GLP-1 à la suite d’une étude parue en 20239. Dans cette étude, les auteurs ont analysé les données de tous les patients atteints de diabète de type 2 ayant pris ces médicaments pendant un à trois ans entre 2006 et 2018, comparés ensuite à un échantillon de diabétiques qui n’avaient pas pris ces médicaments, et ils ont montré qu’il existe un risque accru d’environ 50 à 75% de développer un cancer de la thyroïde.

Si l’examen des preuves présentées n’a pas permis à l’EMA d’établir de relation de cause à effet entre les agonistes des récepteurs du GLP-1 et le cancer de la thyroïde, l’Agence du médicament américaine (FDA) est bien plus prudente elle, recommandant aux personnes ayant des antécédents familiaux de cancer de la thyroïde de ne pas utiliser ces médicaments.

Une « paralysie de l’estomac »

La prise de ces médicaments expose à un risque de développer une « paralysie de l’estomac » ou gastroparésie, trouble qui se manifeste par un ralentissement du système digestif : le corps lutte pour faire passer les aliments de l’estomac à l’intestin grêle. Dans les cas extrêmes, précise Johann Hari, l’estomac peut se durcir, avec des aliments qui restent piégés et pourrissent à l’intérieur de l’organisme.

Le groupe de scientifiques canadiens cité plus haut (cf La pancréatite) a constaté que ces nouveaux médicaments amaigrissants multiplient par 3,7 le risque de paralysie de l’estomac. De même, le risque de développer une occlusion intestinale est multiplié par 4,22.

Une neuropathie optique

Ce dernier effet secondaire que nous évoquerons, non des moindres, a été pointé dans une étude publiée fin mars 202510. Les auteurs ont mis en évidence chez les patients diabétiques utilisant le sémaglutide un risque accru de neuropathie optique ischémique non artéritique (NOIA) - une affection ophtalmique potentiellement invalidante11 -, par rapport aux patients prenant des médicaments contre le diabète appartenant à d’autres classes de médicaments.

Y réfléchir à deux fois

En résumé et à la lumière de tout cela - or patients diabétiques - le jeu en vaut-il la chandelle ? S’exposer à des effets indésirables pas super agréables au quotidien, comme être nauséeux et roter inopinément à longueur de journée, voire franchement sévères, comme ceux que nous venons d’évoquer et auxquels on peut ajouter un risque d’obstruction intestinale et autres pathologies biliaires, pour « quelques » kilos en moins. Est-ce bien raisonnable ? Sans oublier que nous ne connaissons pas encore les effets secondaires à long terme de ces médicaments.

D’un point de vue sociétal, Johann Hari alerte de son côté sur le danger d’accepter des solutions chimiques sans jamais remettre en cause le système qui nous rend malade, et pointe à juste titre outre les risques physiques, les risques psychologiques liés à la prise de ces médicaments. Troubles du comportement alimentaire, dépression…

Sur l’impact émotionnel

Dans un article paru en mai 202512, Débora Maria Gomez Cunha, Dr en pharmacologie, souligne, en s’appuyant sur différentes parutions, que ces pertes de poids rapides peuvent déclencher des troubles émotionnels. Un impact émotionnel lié au bouleversement du fonctionnement cérébral, mais aussi de l’image de soi.

Ces médicaments modulent, nous l’avons vu, les régions cérébrales liées à l’appétit et aux récompenses, d’une part, et d’autre part, la perte de poids rapide active l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien favorisant une libération continue de cortisol associée à un risque accru de dépression et de suicide. Ces modifications neuroendocriniennes peuvent précipiter une décompensation émotionnelle, selon le Dr Eduardo Perin, psychiatre à l’université fédérale de Sao Paulo (Brésil), notamment au cours des premiers mois de traitement quand l’instabilité chimique est plus prononcée.

Mais l’impact émotionnel n’est pas causé uniquement par des facteurs physiologiques : reconstruire une image de soi après une perte de poids peut engendrer de la frustration, notamment quand les attentes ne sont pas satisfaites ou quand l’adaptation à un nouveau corps pose problème. Un effet qui peut se trouver amplifié par les réseaux sociaux et leur culte agressif de la minceur, aux critères esthétiques irréalistes et encourageant les comparaisons préjudiciables. Selon le Dr Perin, cette pression nuit à la perception du corps et alimente la frustration, en particulier chez les personnes ayant une faible estime de soi, qui peuvent s’imposer des attentes irréalisables ou insoutenables à long terme.

Pour terminer, s’il n’a pas été pointé de risque de suicide ou d’auto-mutilation avec les agonistes GLP-1, les experts recommandent la prudence dans la mesure où des effets indésirables graves, tels que des changements de comportement ou d’humeur, peuvent ne pas être observés dans des études de courte durée, ce qui renforce la nécessité d’une surveillance étroite à long terme, en particulier chez les patients présentant un risque plus élevé de troubles psychiatriques. Cet aspect psychiatrique semble avoir été un peu « oublié », tout du moins négligé, dans cet engouement général. En effet, comme le souligne le Dr Cunha, les études de phase III de ces médicaments relativement nouveaux ont été menées dans des conditions contrôlées, excluant souvent les personnes ayant des antécédents de troubles psychiatriques.

En conclusion, si vous avez juste besoin de perdre quelques kilos, il s’avèrera bien plus judicieux et sain, tant physiquement que mentalement et émoptionnellement, d’axer vos efforts sur une meilleure hygiène de vie, une alimentation saine, une activité physique régulière, un bon sommeil, une bonne gestion du stress, bien s’entourer, plutôt que de « s’embarquer » dans cette aventure chimique hasardeuse, aux résultats certes rapides, mais à quel prix !

Patience et longueur de temps, pour se connaître et se reconstruire, valent mieux que force et rage, pour se fondre dans la masse maigreur Ozempic® arborant le « visage Ozempic® », émacié, et le « fessier Ozempic®», amolli et affaissé.

Marion Kaplan et Myriam Marino


Notes :

1 – Pilule miracle – Le livre-révélation sur les nouvelles molécules contre l’obésité, Johann Hari, Thierry Souccar Éditions, mai 2025. Johann Hari est un journaliste et écrivain britannique

2 - Pour Robert Kurshner, par exemple, qui a mené l’une des étapes clés des essais de ces médicaments, interviewé par Johann Hari : « C’est comme si nous avions trouvé le coffre au trésor. Ce qui régule le poids corporel, ce sont les hormones intestinales ». Pilule miracle

3 - Pilule miracle, Johann Hari

4 - Outre la régulation du glucose et de l’appétit, le GLP-1 exerce également ses effets sur le système cardiovasculaire et les reins

5 – Plus précisément, le GLP-1 est une hormone intestinale sécrétée par les cellules entéro-endocrines (cellules spécialisées du tractus gastro-intestinal et du pancréas à fonction endocrine) en réponse à un repas

6 – Ozempic® (sémaglutide) : un médicament à utiliser uniquement dans le traitement du diabète de type 2, ANSM, 1er mars 2023 ; Analogues du GLP-1 : point sur la surveillance des effets indésirables graves et mésusages, ANSM, 5 juillet 2024

7 - L’Ozempic® se présente sous forme de solution injectable dans un stylo prérempli (injection sous-cutanée). On commence généralement à 0,25 mg par semaine, puis on augmente ensuite progressivement la dose à 0,5 mg au bout d’un mois, puis le mois suivant à 1 mg. Certains augmentent même encore les doses selon Johann Hari…

8 - Sohdi, M., et al. Risk of gastrointestinal adverse events associated with glucagon-like peptide-1 receptor agonists for weigh loss. JAMA, octobre 2023

9 - Bezin J., et al. GLP-1 receptor agonists and the risk of thyroid cancer. Diabetes Care, 2023

10 - Alan Y. Hsu, et al. Semaglutide and nonarteritic anterior ischemic optic neuropathy rsk among patients with diabetes. Jama Ophtalmol. March 27, 2025

11 – La NOIA est une atteinte oculaire due à une ischémie (c’est-à-dire une diminution de l’apport sanguin artériel, entraînant une baisse de l’oxygénation des tissus) de la tête du nerf optique

12 - Rapid weight loss can trigger emotionnal turmoil, Débora M. G. Cunha, 13 mai 2025, Medscape Medical News


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