7 / 03 / 2024

Et si c’était une addiction ?

Je vous ai souvent parlé des aliments transformés qu’il faut absolument bannir de nos assiettes aux vus des méfaits de leur consommation sur notre santé. Et le fait est qu’ils sont aussi très addictifs. Une dépendance qui explique, ainsi que le souligne le Pr Pradip Jamnadas1, cardiologue américain, qu’avec la meilleure volonté du monde on échoue à jeûner ou à maintenir un régime pour perdre du poids. Et on abandonne…

Décryptage avec le Dr Jamnadas pour comprendre comment ça marche et nous guider sur le chemin du « sevrage ».


À l’aube de la dépendance…

Cela peut se « limiter » à d’immenses et irrépressibles envies de manger qui doivent être absolument assouvies parce que ça « fonctionne » mal. Pire, cela peut s’exprimer par le fait de commencer à se sentir très mal, avec des maux de tête, des frissons, de l’anxiété, des sueurs, une sorte de brouillard mental, des performances médiocres, une désorientation, de l’irritabilité, de la dépression… On se dit alors qu’on est en train de faire une crise d’hypoglycémie. Alors, on mange et on se sent beaucoup mieux, et on mange encore. La première fois, un seul cookie suffit pour se sentir bien, puis la fois d’après il en faut deux pour atteindre le même niveau de bien-être, puis trois… Et là on commence à se sentir coupable, à se détester, puis finalement à s’isoler.

Selon le Dr Pradip Jamnadas, tous ces comportements nous parlent peut-être d’un début très subtil de dépendance. C’est si insidieux que l’on ne se rend pas compte que c’est en train de se produire. Une addiction à la nourriture ? Non, plutôt à un produit, c’est-à-dire un aliment non naturel, transformé en une espèce de « mixture » de différentes substances chimiques qui nous rendent accros. C’est beau, c’est alléchant, c’est prêt à l’emploi, c’est appétent. Sel, sucres, graisses, conservateurs, colorants, caféine, huiles raffinées, édulcorants… Autant d’additifs addictifs et de combinaisons de substances qui n’existent pas dans la nature et pénètrent d’un bloc dans notre corps où ils vont venir perturber, dérégler, déréguler de nombreuses fonctions de notre organisme, y compris hormonales. Nos comportements peuvent s’en trouver modifiés aussi, et des changements structurels et biochimiques se produisent également dans notre cerveau.


Quand on consomme trop de produits transformés, comme c’est le cas aujourd’hui dans le monde industrialisé, on s’expose, entre autres joyeusetés, au risque d’hyperinsulinémie, de prise de poids, de syndrome métabolique puis de diabète de type 2 avec ses comorbidités, sa toxicité et son inflammation, ainsi que la dysbiose intestinale que cela entraine.


Ils changent nos comportements

Et en ce sens, ils impactent donc aussi nos comportements, car nos bactéries changent en fonction de ce qui arrive dans notre estomac et dans notre intestin. Et dès lors qu’elles changent, nous changeons aussi en raison de cette relation symbiotique existant entre notre physiologie et celle de nos bactéries, qui ont le pouvoir de libérer des produits chimiques dans le sang. Comme le rappelle le Dr Jamnadas, près de 50% des micronutriments qui circulent dans notre corps ont été soit manipulés, soit produits par nos bactéries, avant de pénétrer dans la circulation sanguine.

Il est aujourd’hui bien documenté, et nous avons eu l’occasion d’en parler en détails (Et si les bactéries guidaient nos choix alimentaires ?) que les bactéries guident, voire dictent nos choix alimentaires. Les produits transformés déséquilibrent notre flore intestinale favorisant la prolifération des « mauvaises » bactéries qui, quand elles sont en trop grand nombre, nous poussent à manger mal ou trop. En ce sens, ils changent nos comportements. Outre les modifier, ils peuvent aussi provoquer des troubles du comportement. C’est le stade ultime où l’addiction est vraiment installée. Nous y reviendrons ensuite. 


Le sucre et le gras d’un seul bloc

Quant aux effets des combinaisons de substances pénétrant en un seul bloc dans notre corps, citons le sucre et le gras. Comment va-t-il réagir ? Qu’est-ce que nos mitochondries, nos petites usines énergétiques, vont faire de tout cela ? Simplement, elles vont être bombardées par les sucres, et ensuite arrivent les graisses, ce qui va créer un énorme embouteillage sur l’autoroute. Elles ne peuvent tout bonnement pas fonctionner et elles jettent l’éponge, ce qui engendre fatigue et manque d’énergie.

Notre corps est conçu pour utiliser les nutriments dans certaines combinaisons, au fur et à mesure qu’ils arrivent. Il est important de démarrer un repas en commençant par les fibres (suivent les protéines et graisses, puis les sucres : féculents et dessert) comme nous l’avons déjà vu dans un précédent article (Révolution glucose). Les fibres réduisent en effet l’action de l’alpha-amylase (enzyme qui se charge de décomposer l’amidon en molécules de glucose), elles ralentissent la vidange gastrique. En présence de fibres, les aliments transitent plus lentement de l’estomac vers l’intestin grêle, et enfin elles tapissent l’intestin grêle d’un gel qui freine le passage du glucose dans le sang. Ce qui a pour effet de lisser la courbe de glycémie, et donc d’insuline aussi. Et les nutriments se dissipent lentement, peu à peu dans la circulation sanguine. Cela ne se produit pas avec des aliments sans fibres.


La farine partout

Les aliments transformés regorgent également de farine, qui n’existe pas dans la nature non plus. Notre corps n’est pas conçu pour recevoir des aliments en poudre.

Même avec des dents d’acier, nous ne pourrions mastiquer suffisamment pour réduire une céréale à l’état de poudre. Donc, elle pénètre directement dans le sang et crée une énorme poussée d’hormones, car le corps ne sait pas quoi en faire. Plus le produit est raffiné, plus la libération d’insuline est importante. D’un aliment de survie que fut longtemps la farine, nous en avons fait une denrée utilisée quotidiennement et nous y sommes accro.


Le leurre des édulcorants

Quant aux dommages du sucre présent partout dans les produits industriels – il est d’ailleurs aussi utilisé en tant que conservateur -, on les connaît par cœur. Ce que l’on connaît peut-être moins, c’est l’effet des édulcorants. Ces substances, par exemple le saccharose, stimulent le même endroit que le sucre au niveau du cerveau, comme nous le verrons ensuite en détail.

Ils ont beau n’être pas du sucre, ils en ont tout de même le goût, et il faut savoir que le simple goût du sucré en bouche provoque une petite sécrétion d’insuline précoce, c’est-à-dire qu’elle a lieu avant l’augmentation du taux de glucose dans le sang (qui se produit normalement après ingestion de glucides). C’est ce que l’on appelle la réponse insulinique de la phase encéphalique (CPIR en anglais). Sauf que là, les glucides ne suivront pas, puisqu’il y a zéro calorie. La libération d’insuline joue bien son rôle ensuite de faire diminuer le taux de glucose sanguin, ce qui entraîne une augmentation de la faim et une suralimentation.

En d’autres termes, les édulcorants, en offrant une saveur sucrée sans calories, peuvent « confondre » le cerveau et provoquer une suralimentation. Les boissons diététiques sont à oublier aussi : elles n’améliorent pas la physiologie, nous rendent encore plus dépendants, et nous poussent à manger plus car elle ne provoque pas de satiété. Dans la nature, un liquide, c’est toujours de l’eau ! Donc un jus de fruit même bio se transformera en graisse dans le foie, provoquant à terme, un magnifique foie gras ou NASH (non alcoolique steatose hepatitis).


Tout est « bon » pour nous rendre dépendant

En fait, il n’existe aucun produit et autre aliment raffiné qui n’ait cet effet potentiel de dépendance sur nous. Ils sont conçus, manufacturés, transformés dans ce sens : non seulement, il faut qu’on les consomme, mais surtout il faut qu’on y revienne ! Tout est donc fait pour qu’ils soient les plus appétents possible, c’est-à-dire capables de pleinement satisfaire nos préférences naturelles. Le piège quoi. Plus on en mange, plus on a envie d’en manger, et plus il faut augmenter la « dose » à chaque fois, car on devient tolérant au produit, à la substance, à telle combinaison d’éléments, au cookie de telle marque etc. Et il en faut dès lors plus, pour atteindre le même niveau de satisfaction.


Le pire piège pour nous reste quand même le sucre (et ce n’est pas pour rien qu’il est présent partout, il est même utilisé comme conservateur) à cause de notre grande histoire d’amour avec lui. Il est notre première consolation, notre réconfort, notre doudou, notre récompense. Et c’est justement au niveau du circuit de la récompense que tout se joue, que la dépendance, l’addiction prend naissance.

L’installation d’une addiction comprend trois stades successifs2 au cours desquels notre cerveau en prend un sacré coup : la recherche de plaisir, l’état émotionnel négatif, et enfin la perte de contrôle.


La recherche de plaisir

Imaginons votre addiction à un cookie de telle marque. Au moment où vous le mangez, cela active le circuit cérébral de la récompense, qui est sous la dépendance de la dopamine, dans le noyau accumbens. Le fonctionnement du noyau accumbens repose principalement sur deux neurotransmetteurs essentiels : la dopamine, donc, qui favorise l’envie et le plaisir, et la sérotonine, dont l’effet traduit plutôt la satiétéet le sentiment de bien être. C’est très bon, vous éprouvez du plaisir, c’est grâce à la décharge de dopamine. La fois d’après, avant même d’avoir mangé votre cookie, vous en salivez déjà (le fameux réflexe pavlovien), ce qui s’accompagne de décharges de dopamine qui vont progressivement être libérées par anticipation, prédisant l’arrivée de la récompense (votre cookie). Ceci associé à la consommation de votre cookie va favoriser une nouvelle consommation du biscuit.

Et ce n’est pas tout !

En parallèle, d’autres systèmes de neurotransmission sont modifiés, comme ceux mettant en jeu la sérotonine (dont la production diminue tandis que celle de dopamine augmente) ou les récepteurs aux endorphines, qui deviennent moins sensibles aux molécules endogènes habituellement impliquées dans l’antalgie et la sensation de bien-être, et la production naturelle d’endorphines diminue. À partir de là, le plaisir n’est plus obtenu que par l’apport de la substance extérieure (votre cookie), ce qui induit une augmentation de la tolérance à la substance et une sensation de manque dès l’arrêt de sa consommation. Les accros au pain en savent quelque chose !


L’état émotionnel négatif

Au cours du deuxième stade, le taux de dopamine libéré à chaque fois que vous mangez votre cookie diminue progressivement, rendant le circuit de récompense beaucoup moins sensible à toutes les molécules qui le stimulent habituellement.

Ce n’est pas le seul endroit du cerveau qui pâtit de la situation…

Les décharges de dopamine répétées conduisent en effet à une modification du fonctionnement de l’amygdale. Ce petit organe en forme d’amande est essentiel à notre capacité à ressentir et percevoir chez les autres certaines émotions. Elle semble moduler toutes nos réactions à des événements qui ont une grande importance pour notre survie. Elle nous permet de réagir presque instantanément à la présence d’un danger4. Cette modification rend la personne plus stressée et sujette à des émotions plus négatives. On appelle cela la dysphorie. À ce stade, le seul moyen de satisfaire le circuit de la récompense et en même temps soulager cet état émotionnel négatif est d’augmenter la dose. Manger son cookie ne vise plus à prendre du plaisir, mais à sortir d’un état émotionnel négatif.

On assiste également au cours de cette phase à une perte progressive de la plasticité cérébrale (la capacité de nos neurones à se réorganiser entre eux pour intégrer de nouvelles données).


La perte de contrôle

Puis vient la perte de contrôle (ou craving). Le troisième stade. L’altération des circuits de la récompense et des émotions est telle que des processus contrôlés par le cortex préfrontal sont modifiés. : il s’agit notamment des capacités d’auto-régulation, de la prise de décision ou de la capacité à résister aux envies de consommer. Ce qui explique les rechutes répétées, même quand on a un désir sincère d’arrêter.

Le cerveau des personnes dépendantes subit réellement des changements structurels et biochimiques comme il a pu être observé par imagerie (IRM ou PET-Scan) mettant en évidenvce notamment une diminution des flux sanguins, une hypoactivation des régions corticales frontales et une hyperactivation des régions impliquées dans la motivation, la mémoire et les émotions.


Un monde d’abondance écrasante

Selon certains auteurs, la densité et l’abondance caloriques qui baignent notre monde d’aujourd’hui, tous ces aliments transformés que nous consommons constamment et sans modération, nous mettent sous « shoot » de dopamine constant. Ce qui nous expose donc au risque de dépendance, d’installation avérée d’addiction telle que décrite dans les trois stades.

Nous sommes (et pas que dans notre comportement alimentaire, mais aussi dans d’autres pratiques addictives) sous « dopamination ». Dominés par la dopamine. Le Dr Anna Lembke a écrit un livre sur le sujet intitulé « Dopamine Nation », où elle explique que nous avons transformé le monde d’un lieu de pénurie à un lieu d’abondance écrasante, ce qui fait que nous sommes tous à risque de surconsommation compulsive.

Un lieu de pénurie où nous avons pourtant si bien survécu il y a fort longtemps en mettant en place ce mécanisme si intelligent pour faire face au jeûne forcé, quand il n’y avait plus rien à manger : utiliser les graisses comme carburant quand les (maigres) réserves de glucose étaient épuisées. Et retourner au métabolisme du glucose quand de nouveau on pouvait se nourrir. La flexibilité métabolique, en un mot. Un jour, on a de la nourriture, un autre, on n’en n’a pas. Quand il n’y a pas de calories, on nettoie, on construit, on répare. Le jeûne, c’est ce nécessaire stress hormétique dont notre corps a besoin. On peut résumer l’hormèse à l’adage : ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort. En un mot, à petite dose, un stress est bénéfique.

C’est ainsi que nous avons été conçus physiologiquement, programmés génétiquement dans un environnement particulier. Et force est de constater qu’il y a un monde (un univers entier !) entre l’environnement du XXIe siècle et celui de nos origines. Pourtant, nous sommes toujours les mêmes génétiquement parlant que l’homme du paléolithique, ce qui fait qu’aujourd’hui, nous sommes un peu comme des cactus dans une forêt tropicale, pour reprendre l’image du Dr Jamnadas, qui, non adaptés à cet environnement trop humide, se gorgent d’eau, tombent malades et meurent.


Agir plutôt que subir : comment sortir de la dépendance

La première des choses à mettre en place est bien sûr d’éliminer tous les aliments transformés et d’éviter tous les aliments qui créent une dépendance.

Il est essentiel de s’alimenter de la manière la plus saine et diversifiée possible. Manger paléobiotique ou méditerranéen offrent tout cela. Une alimentation bio préférentiellement bien sûr, et choisir des viandes issues d’animaux élevés à l’herbe et des poissons et des crevettes sauvages pour une alimentation saine. N’oubliez pas de mastiquer consciencieusement, sinon tout cela ne sert à rien !

Il ne faudra pas oublier les super outils que sont les prébiotiques et les probiotiques pour soutenir la santé intestinale. Et toujours manger en conscience, lentement, en mastiquant bien.

Tout cela paraît évident et je me répète, mais c’est absolument essentiel pour se préserver de tout piège et autre appel des sirènes du prêt à consommer qui constitue le premier pas vers la dépendance.


Le jeûne est une étape essentielle et incontournable sur le chemin de sevrage (Le jeûne une thérapie universelle). Intermittent, court ou de plusieurs jours, tout est bon. Le jeûne présente de nombreux bénéfices pour notre organisme, parmi lesquels la restauration des cellules souches, l’augmentation de l’hormone de croissance, du facteur neurotrophique du cerveau et l’amélioration de la sensibilité à l’insuline, premier pas vers la flexibilité métabolique.

Le jeûne peut contribuer à éliminer les envies et les dépendances, mais il faut du temps pour que les hormones se régulent et les rechutes doivent être surmontées en persévérant, insiste le Dr Jamnadas. Faites-vous confiance et entourez-vous de soutien. Le « sevrage » n’est pas une sinécure, il faut s’attendre à des échecs, mais continuer d’essayer de vaincre la dépendance et de suivre ce régime que vous avez voulu mettre en place le cas échéant.

Il est important aussi, au cours de cette démarche, d’accorder au sommeil toute la place qu’il mérite. Car, outre les multiples vertus qu’il recèle pour la santé globale, c’est au cours de la nuit que certaines hormones et protéines sont fabriquées, et le temps passé à dormir est crucial pour l’ajustement de cette production. C’est le cas de l’hormone de croissance, essentielle au développement et à la réparation des tissus endommagés, ou encore des hormones impliquées dans la régulation de l’appétit (la leptine et la ghréline).

Enfin, une bonne gestion du stress est essentielle, car le stress est bien souvent responsable du craquage sur l’aliment de réconfort !

Courage, allez si vous commenciez à résister !

Notes

1 – Addiction : why we cant’t fast or keep a diet – Dr Pradip Jamnadas MD – Fasting for survival follow up (Addictions : pourquoi nous ne pouvons pas jeûner ou tenir un régime – Jeûner pour le suivi de survie : https://youtu.be/kN83jppeI7Q?si=ElpdtSXGuFFGKgqb

2 – Addictions : du plaisir à la dépendance, Inserm

3 - Les centres du plaisir chauffés au rouge, Université Mc Gill, Canada

4 – L’amygdale et ses alliés, Université McGill


Marion Kaplan et Myriam Marino.

Partager